LE MUSÉE IMAGINAIRE D'HENRI
LANGLOIS
commissaire: Dominique Païni
Cinemathèque Française
51, rue de Bercy - Paris
9 avril 2014 - 3 août 2014
Henri Langlois fut un personnage savant et dénué d’esprit de sérieux, intempestif et opiniâtre, à l’instar des autres figures géniales du XXème siècle qui mêlèrent l’extravagance de leurs projets à celle de leur comportement. Pittoresque pédagogue, poète d’un art qui n’en finissait pas de douter qu’il en soit un, Henri Langlois offre à la jeune cinéphilie d’aujourd’hui l’occasion d’un éloge du goût comme posture éthique, face aux tendances cyniques et uniformisantes de l’idéologie consumériste.
Dès les années 30, Langlois fut un voyant, lançant le cinéma à la conquête des autres arts. Il prit conscience de la disparition du cinéma muet et de l’importance que le cinéma avait déjà pour les artistes majeurs du siècle. La Cinémathèque française fut son œuvre et cette institution impulsa la création des cinémathèques du monde entier. Henri Matisse, Max Ernst, Miró, Picabia, Léger, Magritte, Beuys et Andy Warhol, parmi tant d’autres, y trouvèrent les solutions pour réaliser leur passion de figurer le mouvement. Langlois inventa ainsi le musée où les artistes ne viennent plus copier les maîtres mais découvrir ce dont personne n’avait eu autant la preuve avant le cinéma : le monde n’est que mouvements, vitesses et rythmes. Simultanément, il permit de découvrir l’influence que les cinéastes avaient reçue des arts visuels du passé. Jean Renoir, Eisenstein, Charlie Chaplin, Fritz Lang, Hitchcock, Godard, eux, copièrent les maîtres !
Le goût d’Henri Langlois pour un cinéma non « aliéné » à la narration, lui fit défendre les grands cinéastes-peintres : Ruttmann, Fischinger, Len Lye, Man Ray, Léger, Richter… puis Kenneth Anger, Paul Sharits, les recherches françaises des années soixante de Martial Raysse à Philippe Garrel, la factory d’Andy Warhol.
« Laisser venir les films à l’esprit »
L’exposition et la programmation consacrées à Henri Langlois observent un principe qui tire sa référence dans le cinéma classique : Liberty Valance de John Ford. C’est la légende que cet anniversaire prétend servir, au-delà des polémiques que la personnalité et la gestion de son institution suscitèrent. Pour Langlois, la programmation a été une véritable écriture, du montage. Il ne justifia jamais ses rapprochements de films. La programmation relevait pour lui de l’association d’idées et il ne craignai pas de « laisser venir les films à l’esprit » selon les principes de l’écriture automatique surréaliste. Brutaliser ainsi les films, enflammer leur signification, les détourner des intentions de leur auteur.
Langlois jetait sur le papier des listes de films destinés à être projetés : perceptions instantanées, clins d’œil fulgurants, constellations de films qui se forment comme des nuées qui engendrent une poétique et font se « cabrer les conflits intérieurs » des films ( Eisenstein ). De ces programmations naquirent sans doute plusieurs décennies plus tard les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard. Car La Cinémathèque française fut en effet un phalanstère pour une génération de cinéastes. Langlois fut leur Fourrier… Truffaut, Godard, Chabrol, Rivette, Rohmer y vinrent comme les peintres modernes vinrent au Louvre. C’est grâce à Langlois que Rohmer admira peut-être Quai des Brumes pour des raisons « debussystes » (le récit de Carné-Prévert est au fond très proche de Pelléas et Mélisande ), que Rivette prit la leçon des Serials de Feuillade, que Demy se délecta de l’énergie chantée de Danielle Darrieux et que Truffaut réévalua le Gance des années 30 et trouva dans Paradis perdu le scénario de sa future Chambre verte. Langlois « donna la lumière », selon le mot de Godard.
L’exposition consacrée à ce personnage hors du commun illustre cette aventure qui, au-delà de la conservation des films, intégra ceux-ci à une vision élargie de la création artistique. L’homme présente plusieurs facettes, étapes du parcours de l’exposition qui confrontent l’art du cinéma et les autres arts :
Programmateur : l’exposition montre, par des extraits de films, les rapprochements audacieux et sidérants que Langlois faisait pour exposer le cinéma tel l’accrochage de tableaux dans les musées d’art.
Explorateur : l’apparition de talents nouveaux et tout ce qui pouvait être produit par la jeunesse, le passionnèrent. Les cinéastes de la Nouvelle Vague le considérèrent comme un de leurs pères. Son goût pour un cinéma non aliéné « à la narration » lui fit défendre les grands artistes expérimentateurs.
Artiste parmi les artistes : Matisse, Chagall, Picasso ou Léger constituèrent ses admirations et ses amis. Un choix d’œuvres de ces artistes est confronté aux goûts cinéphiliques. Ces relations que le cinéma noua avec les autres arts, conduisirent Langlois à filmer certains artistes essentiels de son siècle .
Architecte : ne se contentant pas d’un musée imaginaire et impatient d’inscrire décisivement le cinéma comme un art parmi les arts, il conçut plusieurs projets de musée réel du cinéma à travers le monde.
Dominique Païni, commissaire de l’exposition
commissaire: Dominique Païni
Cinemathèque Française
51, rue de Bercy - Paris
9 avril 2014 - 3 août 2014
Henri Langlois fut un personnage savant et dénué d’esprit de sérieux, intempestif et opiniâtre, à l’instar des autres figures géniales du XXème siècle qui mêlèrent l’extravagance de leurs projets à celle de leur comportement. Pittoresque pédagogue, poète d’un art qui n’en finissait pas de douter qu’il en soit un, Henri Langlois offre à la jeune cinéphilie d’aujourd’hui l’occasion d’un éloge du goût comme posture éthique, face aux tendances cyniques et uniformisantes de l’idéologie consumériste.
Dès les années 30, Langlois fut un voyant, lançant le cinéma à la conquête des autres arts. Il prit conscience de la disparition du cinéma muet et de l’importance que le cinéma avait déjà pour les artistes majeurs du siècle. La Cinémathèque française fut son œuvre et cette institution impulsa la création des cinémathèques du monde entier. Henri Matisse, Max Ernst, Miró, Picabia, Léger, Magritte, Beuys et Andy Warhol, parmi tant d’autres, y trouvèrent les solutions pour réaliser leur passion de figurer le mouvement. Langlois inventa ainsi le musée où les artistes ne viennent plus copier les maîtres mais découvrir ce dont personne n’avait eu autant la preuve avant le cinéma : le monde n’est que mouvements, vitesses et rythmes. Simultanément, il permit de découvrir l’influence que les cinéastes avaient reçue des arts visuels du passé. Jean Renoir, Eisenstein, Charlie Chaplin, Fritz Lang, Hitchcock, Godard, eux, copièrent les maîtres !
Le goût d’Henri Langlois pour un cinéma non « aliéné » à la narration, lui fit défendre les grands cinéastes-peintres : Ruttmann, Fischinger, Len Lye, Man Ray, Léger, Richter… puis Kenneth Anger, Paul Sharits, les recherches françaises des années soixante de Martial Raysse à Philippe Garrel, la factory d’Andy Warhol.
« Laisser venir les films à l’esprit »
L’exposition et la programmation consacrées à Henri Langlois observent un principe qui tire sa référence dans le cinéma classique : Liberty Valance de John Ford. C’est la légende que cet anniversaire prétend servir, au-delà des polémiques que la personnalité et la gestion de son institution suscitèrent. Pour Langlois, la programmation a été une véritable écriture, du montage. Il ne justifia jamais ses rapprochements de films. La programmation relevait pour lui de l’association d’idées et il ne craignai pas de « laisser venir les films à l’esprit » selon les principes de l’écriture automatique surréaliste. Brutaliser ainsi les films, enflammer leur signification, les détourner des intentions de leur auteur.
Langlois jetait sur le papier des listes de films destinés à être projetés : perceptions instantanées, clins d’œil fulgurants, constellations de films qui se forment comme des nuées qui engendrent une poétique et font se « cabrer les conflits intérieurs » des films ( Eisenstein ). De ces programmations naquirent sans doute plusieurs décennies plus tard les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard. Car La Cinémathèque française fut en effet un phalanstère pour une génération de cinéastes. Langlois fut leur Fourrier… Truffaut, Godard, Chabrol, Rivette, Rohmer y vinrent comme les peintres modernes vinrent au Louvre. C’est grâce à Langlois que Rohmer admira peut-être Quai des Brumes pour des raisons « debussystes » (le récit de Carné-Prévert est au fond très proche de Pelléas et Mélisande ), que Rivette prit la leçon des Serials de Feuillade, que Demy se délecta de l’énergie chantée de Danielle Darrieux et que Truffaut réévalua le Gance des années 30 et trouva dans Paradis perdu le scénario de sa future Chambre verte. Langlois « donna la lumière », selon le mot de Godard.
L’exposition consacrée à ce personnage hors du commun illustre cette aventure qui, au-delà de la conservation des films, intégra ceux-ci à une vision élargie de la création artistique. L’homme présente plusieurs facettes, étapes du parcours de l’exposition qui confrontent l’art du cinéma et les autres arts :
Programmateur : l’exposition montre, par des extraits de films, les rapprochements audacieux et sidérants que Langlois faisait pour exposer le cinéma tel l’accrochage de tableaux dans les musées d’art.
Explorateur : l’apparition de talents nouveaux et tout ce qui pouvait être produit par la jeunesse, le passionnèrent. Les cinéastes de la Nouvelle Vague le considérèrent comme un de leurs pères. Son goût pour un cinéma non aliéné « à la narration » lui fit défendre les grands artistes expérimentateurs.
Artiste parmi les artistes : Matisse, Chagall, Picasso ou Léger constituèrent ses admirations et ses amis. Un choix d’œuvres de ces artistes est confronté aux goûts cinéphiliques. Ces relations que le cinéma noua avec les autres arts, conduisirent Langlois à filmer certains artistes essentiels de son siècle .
Architecte : ne se contentant pas d’un musée imaginaire et impatient d’inscrire décisivement le cinéma comme un art parmi les arts, il conçut plusieurs projets de musée réel du cinéma à travers le monde.
Dominique Païni, commissaire de l’exposition