sabato 2 maggio 2015

LE CORBUSIER: MESURES DE L'HOMME - CENTRE POMPIDOU, PARIS




LE CORBUSIER
MESURES DE L'HOMME
Commissaires : Frédéric Migayrou, Olivier Cinqualbre
Centre Pompidou
Place Georges Pompidou - Paris
29 avril 2015 - 3 août 2015

Le Centre Pompidou consacre une exposition à l’œuvre de Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier. Architecte et urbaniste visionnaire, théoricien de la modernité, mais aussi peintre et sculpteur, Le Corbusier a profondément marqué le 20e siècle en bouleversant la création architecturale et la façon « d’habiter ». Le Centre Pompidou invite le public à comprendre tout l’œuvre de cette grande figure de la modernité à travers la notion de proportion humaine, le corps humain s’imposant comme un principe universel définissant toutes les dimensions de l’architecture et de la composition spatiale. La conception du Modulor (1944), silhouette d’un corps humain d’1,83 m, formalise un système de proportions basé sur le nombre d’or et permettant d’organiser une harmonie de toutes constructions spatiales directement définie selon la morphologie humaine. Pourtant le Modulor – qui s’imposera comme un véritable système normatif pour de très nombreux architectes, régulant aussi bien la forme des intérieurs que la proportion des constructions – semble avoir été interprété comme un instrument métrique, une mesure purement abstraite organisant l’architecture selon une rationalité géométrique.
L’exposition revient sur les sources de la conception du corps chez Le Corbusier, un corps en mouvement qui définit sa notion de l’eurythmie (l’un des cinq fondamentaux de l’architecture, le « bon rythme », la proportion). Il aborde ce principe au tournant des années 1910 sous l’influence de l’école d’Hellerau, une cité-jardin près de Dresde où son frère, Albert Jeanneret, suit les cours du compositeur et pédagogue Émile Jaques-Dalcroze. Au sein de ce lieu d’expérimentation artistique majeur, ce dernier propose une méthode rythmique qui enseigne la musique et la chorégraphie dans une pédagogie du mouvement fondée sur la perception physique, une cognition de l’espace organisée par les interactions entre espace, temps, énergie. Ces notions influenceront profondément Le Corbusier.
Tandis que Le Corbusier effectue un stage chez l’architecte Peter Behrens (1910-1911) en Allemagne, où il croise Mies van der Rohe et Walter Gropius, il publie en 1912 une Étude sur le mouvement des arts décoratifs en Allemagne et s’inscrit aux prémisses du Werkbund (mouvement de promotion de l’innovation dans les arts appliqués et l’architecture fondé en 1907) et du mouvement des cités-jardins. Aux sources, on trouve le mouvement de la Lebensreform (réforme de la vie), une recherche d’harmonie ancrée sur les théories psychophysiques du philosophe allemand Gustav Fechner et du psychologue Wilhelm Wundt. Le Corbusier s’en nourrit pour concevoir une dynamique et une esthétique de l’espace désormais régies par le rythme et le mouvement, avec l’idée d’un corps qui perçoit. L’influence de ces notions sera décisive sur sa peinture et tout son œuvre, à travers la définition de « l’esthétique scientifique ».
Selon une chronologie déterminée par les grandes étapes de cette conception esthétique nouvelle, l’exposition propose une traversée inédite de l’œuvre de Le Corbusier. Le corps y est « percevant », « cognitif » ; il permet de lire en cohérence toutes les recherches qui ont animé son œuvre peint, sculpté et architectural. Le Corbusier moderniste, auteur d’une architecture puriste, est souvent opposé à celui de l’après-guerre, empreint d’un brutalisme du béton ou de formes plus organiques. L’exposition montre au contraire la pleine continuité de sa démarche.
Elle s’ouvre sur une salle consacrée à la définition de la notion de rythme et d’eurythmie. Elle revient sur l’influence des tracés régulateurs chez Peter Behrens, sur celle de J. L. M Lauweriks et sur le Voyage en Orient de Le Corbusier, débuté en 1911. Il puisera toute sa vie aux abondants carnets de dessins et de notes rapportés de ce voyage initiatique. L’architecte théorisera alors sur l’unité perceptuelle et cognitive d’un objet architectural qu’il finira par symboliser par un cube. Ce cube blanc est celui des premiers dessins puristes et de la peinture intitulée La Cheminée (1918). Ce tableau sera la pierre angulaire de la collaboration avec le peintre Amédée Ozenfant avec lequel il fonde le mouvement du « purisme » et la revue L’Esprit nouveau. Ces recherches s’incarnent notamment dans des natures mortes organisées comme des variations selon des tracés régulateurs. Dans une relation critique au cubisme, elles affirment une dimension psychophysique, l’existence d’un « parallélisme psychophysique » entre l’esprit et le corps défendu par Gustav Fechner. C’est dans cette même revue que Le Corbusier – qui est encore Charles-Edouard Jeanneret – signe pour la première fois de son pseudonyme.
Un chapitre de l’exposition est consacré à la revue et aux premières villas qui s’érigeront en manifestes. Avec le pavillon de l’Esprit nouveau conçu pour l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925, Le Corbusier concrétise l’instauration d’un espace cognitif définissant tout à la fois l’espace pictural, l’espace de « l’habiter », l’harmonie des compositions architecturales et la compréhension du domaine urbain. L’article séminal de Le Corbusier « Des yeux qui ne voient pas » définit le nouvel espace de la modernité, celui d’une société portée par la machine, l’automobile, l’avion, le paquebot, où le mouvement, la mobilité imposent une nouvelle conception de l’espace-temps. Les villas (Villa Stein, Villa Savoye…) s’imposent comme les manifestes de cette architecture organisée pour un corps libéré, pensée comme un plan libre ouvert à la lumière.
Durant toutes les années 1930, partageant chaque journée de travail entre la peinture et l’architecture, Le Corbusier mène des recherches systématiques sur les corps : corps de femmes se déformant et se recomposant en de nouvelles figures, morphogenèse des corps déployée en un ensemble de toiles et d’esquisses trouvant un accomplissement avec la peinture murale de la maison Badovici à Vézelay (1936), présentée pour la première fois au public dans l’exposition. L’ensemble des pièces prototypes des meubles de la série L.C. – conçus par Le Corbusier après sa visite de la Weissenhof Siedlung, à Stuttgart en 1927 – est également exposé. Cette cité expérimentale est le manifeste architectural du mouvement de l’internationale moderniste. Ses constructions blanches, à toit plat, sont créées par Behrens, Gropius, van der Rohe et Le Corbusier.
Au cœur de l’exposition, la salle consacrée au Modulor présente près d’une cinquantaine de dessins ainsi que des objets. Entre les dessins de recherche sur la formalisation mathématique et ceux touchant à la description des progressions géométriques, le Modulor apparaît plus comme un instrument de régulation que comme une norme abstraite.
La période acoustique de Le Corbusier débute avec les esquisses d’Ozon (1943) figurant une oreille que l’on retrouve dans de nombreux dessins et peintures (Ubu IV) et donne lieu à une série de sculptures réalisées par Joseph Savina. Le concept de l’acoustique est directement lié à la notion d’espace indicible, texte que Le Corbusier publie dans un numéro spécial de L’Architecture d’aujourd’hui. Il reconduit l’idée d’une psychophysique de l’espace où tous les sens, le visuel, le sonore, le tactile résonnent ensemble dans un domaine unifié par l’harmonie des proportions. L’ensemble des peintures et sculptures est complété par la présentation de la peinture murale réalisée par Le Corbusier pour son atelier de la rue de Sèvres.
La « cellule d’habitation », à l’échelle du corps, s’impose dans les immeubles et les villas que crée le Corbusier après la visite des cellules de la Chartreuse de Galluzo, près de Florence. L’utilisation systématique du Modulor pour la réalisation de l’Unité d’habitation de Marseille définit le principe d’un habitat collectif fondé sur une compréhension universaliste de l’échelle et des fonctions nécessaires à l’homme. Le Corbusier développe ce principe pour d’autres programmes, multipliant les empreintes du Modulor à l’aide de tampons humides dans nombre de dessins, pour certains montrés dans l’exposition.
Le Corbusier s’attache à la concrétisation d’un espace spirituel communautaire, fondé sur la compréhension de l’espace indicible. Sa relation avec le père Couturier l’amène à s’intéresser à des programmes liés à l’art sacré. La notion d’une communauté spirituelle, fondée sur des constantes physiologiques et sur des valeurs culturelles partagées, définit l’unité de conception de ces projets. Le Pavillon Philips, à la fois événement et transfiguration d’un espace acoustique étendu, s’affirme comme un manifeste concret et accessible à un large public.
À la ville rationnelle, à la planification des vastes espaces urbains, Le Corbusier substitue une vision de la cité articulée autour de bâtiments symboliques. Il définit cette ville humaniste dans Sur les 4 Routes, La Maison des hommes, et en publiant dans les revues L’Homme réel et L’Homme et l’architecture. Chandigarh s’impose comme la démonstration concrète de cette vision universaliste du monde. Au début des années 1950, les autorités indiennes lui confient la conception de la nouvelle capitale du Pendjab. Il prend en charge l’urbanisme complet de la ville, construit les premiers bâtiments officiels et réalise des résidences privées. Comme un symbole, Le Corbusier avait voulu y ériger un monument pacifiste, une main, une partie du corps substituée à la colombe de la paix.
L’exposition se clôt sur la réalisation de Le Corbusier à la fois la plus personnelle et la plus emblématique de sa pensée : Le Cabanon. Pour cette « cellule d’habitation », construite sur un rocher de bord de mer à Roquebrune-Cap-Martin, Le Corbusier conçoit un espace minimum de vie. Le cabanon apparaît comme un paradoxe pour un architecte qui se sera imposé dans la démesure de grands projets urbains – celle d’une intense communication, d’une publicité savamment orchestrée, multipliant sans trêve la diffusion de son image – mais aussi dans l’aspiration au dénuement. Avec le cabanon s’exprime sa volonté de vivre dans un espace minimum et minimal, fondé sur la simple physiologie du corps. Le Corbusier y vivra presque nu, et c’est en contrebas qu’il y disparaîtra lors de l’une de ses baignades quotidiennes en Méditerranée, en 1965.