L'USAGE DES FORMES
Artisans d'art et artistes
commissaire: Gallien Déjean
Palais de Tokyo
13, avenue du Président Wilson - Paris
20/03/2015 - 17/05/2015
Avec : Abdou Fataï ABIOLA, Georges ALLORO, Jean-Marie APPRIOU, Jean-Michel APPRIOU, ARCA, Marc AUREL, Bernard et François BASCHET, Eric BENQUÉ, Berger&Berger, Camille BLATRIX, BLESS, Gérard BORDE, Bruno BOTELLA, Linda BROTHWELL, Jacques CARELMAN, Nicolas CECCALDI, Giorgio DE CHIRICO, Gérard DESQUAND, Aleksandra DOMANOVIC, Charles EAMES, Alexandre ECHASSERIAU, Pierre EMM & Johan DA SILVEIRA & Piotr WIDELKA, Nicolas FARINOTTI, Pierre FAVRE, GLASS FABRIK, GRAMAZIO KOHLER RESEARCH- ETH Zurich, Constance GUISSET, Frédéric HAMEL, Michael HANSMEYER, Bernard HEIDSIECK, Yngve HOLEN, Franck JALLEAU, Thomas JAMES, Emmanuel JOUSSOT, François JUNOD, Gaël LANGEVIN, Nathanaël LE BERRE, Guillaume LEBLON, Xavier LE NORMAND, LEZARD GRAPHIQUE, Emmanuelle LAINÉ, Marie LUND, Jean-Paul MAHÉ, Benoît MAIRE, Christophe MANKA, Maurice MARINOT, Kristin MCKIRDY, Christophe MICHEL, Christian MORETTI, Jean-Luc MOULÈNE, Sébastien NEDJAR, André NICOLAS, Jean Antoine NOLLET, Giuseppe PENONE, Daniel POMMEREULLE, François-Xavier RICHARD, Frédéric RICHARD, David ROSENBLUM, Bernard SOLON, Ettore SOTTSASS, Robert STADLER, SYNDICAT, Richard TUTTLE
L’exposition L’Usage des formes explore l’ingéniosité humaine et la relation passionnée que les créateurs entretiennent avec leurs outils, en abordant l’instrument comme un élément fondamental du rapport de l’homme au monde. Faisant dialoguer artisans d’art et artistes, l’exposition rassemble les métiers d’art, le design, les arts plastiques et l’architecture dans une scénographie conçue par le designer Robert Stadler et réalisée en collaboration avec des artisans d’art.
Le début du parcours invite à plonger dans l’univers de l’atelier. Au sein de cette fabrique, l’outil se donne à voir comme une incarnation de l’Histoire, en ce qu’il correspond fondamentalement à la transmission ou réécriture de la pratique qui lui est associée. L’exposition aborde ensuite la notion de prise en main de l’outil. L’objet technique est l’instrument de cette préhension qui permet de mettre l’homme en contact avec le monde. Telle une prothèse, l’outil est précisément cette extension du corps qui permet à l’homme d’interagir avec son environnement et de passer ainsi de l’état de nature à l’état de culture. Apprendre à manipuler un outil révèle les propriétés cachées de la matière. L’outil, par conséquent, est un objet qui permet d’extraire de l’information, de mesurer et de quantifier le réel et d’opérer des croisements fructueux entre la science, la technologie et l’artisanat. L’exposition se clôt sur la double dimension symbolique - voire magique - et utilitaire de l’outil : à l’instar du compas des Compagnons du Devoir, devenu symbole philosophique de la Franc-maçonnerie, ou encore du dodécaèdre gallo-romain, mystérieux objet de divination, présentés dans cette section. Par leur préciosité ou par le sens dont ils ont été investis, ces objets, à l’origine simples instruments, deviennent de puissants symboles de l’humanité et des vecteurs de contemplation.
En 1930, l’ethnologue Marcel Griaule publie dans la revue Documents[1] un article intitulé « Poterie » dans lequel il dénonce les archéologues et les esthètes qui admirent, dit-il, « la forme d’une anse » mais se gardent bien « d’étudier la position de l’homme qui boit ». La forme de chaque objet, dans son contexte d’émergence, est liée à un usage – qu’il s’agisse d’un ustensile, d’un objet d’art appliqué ou même d’une œuvre d’art.
Dans ce texte, Griaule déplore le processus de décontextualisation que l’on fait subir aux objets lorsqu’ils intègrent le musée pour acquérir une valeur esthétique. Dévitalisés de leur fonction d’usage dans cette enceinte sacrée, ils deviennent des objets de contemplation qui n’ont pour seule justification que la classification qui les subsume.
« L’Usage des formes » s’intéresse non seulement à « l’homme qui boit » mais également à celui qui, parce qu’il boit, fabrique une anse. L’exposition regroupe des objets et des œuvres issues d’époques et de domaines variés : métiers d’art[2], arts plastiques, design et architecture. Chacun de ces artefacts témoigne d’une valeur d’usage. La plupart appartient à la catégorie des instruments techniques dont le champ d’action est infini : certains servent à transformer la matière, d’autres à révéler l’invisible, extraire des données, produire de l’information ou communiquer. Ils prolongent nos organes dans leur fonction d’appréhension du monde. Selon le philosophe Gilbert Simondon, les instruments techniques sont des êtres « allagmatiques », c’est-à-dire des éléments d’échange entre l’homme et son environnement ; de cet échange naît la culture.
Deux entités complémentaires incarnent le rapport à l’outil. L’homo faber construit des instruments pour effectuer le transfert de la nature à la culture. L’homo ludens joue à détourner les outils de production et les instruments de la connaissance créés par l’homo faber afin de faire surgir de nouvelles possibilités. Parfois, ces deux attitudes coexistent au sein de la pratique d’un même créateur. En exposant les outils et les échantillons prélevés dans les ateliers d’artisans d’art, mis en regard avec ceux des plasticiens et des designers, l’exposition « L’Usage des formes » met en scène ces deux conceptions entrelacées de l’invention, et la manière dont les gestes techniques sont porteurs de sens et de connaissance.
Dans Les Gestes, le philosophe Vilém Flusser décrit le moment où, à l’issue d’une production, « les mains se retirent de l’objet, ouvrent leurs paumes en un angle large et laissent glisser l’objet dans le contexte de la culture [...], non quand elles sont satisfaites de l’œuvre, mais quand elles savent que toute continuation du geste de faire serait insignifiante pour l’œuvre ». Ce geste est aussi celui du don, affirme-t-il. C’est « le geste d’exposer » que « L’Usage des formes » met en scène au sein d’un espace scénographique où flotte encore la survivance de l’usage des formes présentées.
Gallien Déjean
Image: Robert Stadler, Understand what you love. Résine polyester, acier 29,5 x 10,5 x 2 cm. Edition de 15. Edition galerie de multiples. Photo : Patrick Gries. © ADAGP, Paris 2015
Artisans d'art et artistes
commissaire: Gallien Déjean
Palais de Tokyo
13, avenue du Président Wilson - Paris
20/03/2015 - 17/05/2015
Avec : Abdou Fataï ABIOLA, Georges ALLORO, Jean-Marie APPRIOU, Jean-Michel APPRIOU, ARCA, Marc AUREL, Bernard et François BASCHET, Eric BENQUÉ, Berger&Berger, Camille BLATRIX, BLESS, Gérard BORDE, Bruno BOTELLA, Linda BROTHWELL, Jacques CARELMAN, Nicolas CECCALDI, Giorgio DE CHIRICO, Gérard DESQUAND, Aleksandra DOMANOVIC, Charles EAMES, Alexandre ECHASSERIAU, Pierre EMM & Johan DA SILVEIRA & Piotr WIDELKA, Nicolas FARINOTTI, Pierre FAVRE, GLASS FABRIK, GRAMAZIO KOHLER RESEARCH- ETH Zurich, Constance GUISSET, Frédéric HAMEL, Michael HANSMEYER, Bernard HEIDSIECK, Yngve HOLEN, Franck JALLEAU, Thomas JAMES, Emmanuel JOUSSOT, François JUNOD, Gaël LANGEVIN, Nathanaël LE BERRE, Guillaume LEBLON, Xavier LE NORMAND, LEZARD GRAPHIQUE, Emmanuelle LAINÉ, Marie LUND, Jean-Paul MAHÉ, Benoît MAIRE, Christophe MANKA, Maurice MARINOT, Kristin MCKIRDY, Christophe MICHEL, Christian MORETTI, Jean-Luc MOULÈNE, Sébastien NEDJAR, André NICOLAS, Jean Antoine NOLLET, Giuseppe PENONE, Daniel POMMEREULLE, François-Xavier RICHARD, Frédéric RICHARD, David ROSENBLUM, Bernard SOLON, Ettore SOTTSASS, Robert STADLER, SYNDICAT, Richard TUTTLE
L’exposition L’Usage des formes explore l’ingéniosité humaine et la relation passionnée que les créateurs entretiennent avec leurs outils, en abordant l’instrument comme un élément fondamental du rapport de l’homme au monde. Faisant dialoguer artisans d’art et artistes, l’exposition rassemble les métiers d’art, le design, les arts plastiques et l’architecture dans une scénographie conçue par le designer Robert Stadler et réalisée en collaboration avec des artisans d’art.
Le début du parcours invite à plonger dans l’univers de l’atelier. Au sein de cette fabrique, l’outil se donne à voir comme une incarnation de l’Histoire, en ce qu’il correspond fondamentalement à la transmission ou réécriture de la pratique qui lui est associée. L’exposition aborde ensuite la notion de prise en main de l’outil. L’objet technique est l’instrument de cette préhension qui permet de mettre l’homme en contact avec le monde. Telle une prothèse, l’outil est précisément cette extension du corps qui permet à l’homme d’interagir avec son environnement et de passer ainsi de l’état de nature à l’état de culture. Apprendre à manipuler un outil révèle les propriétés cachées de la matière. L’outil, par conséquent, est un objet qui permet d’extraire de l’information, de mesurer et de quantifier le réel et d’opérer des croisements fructueux entre la science, la technologie et l’artisanat. L’exposition se clôt sur la double dimension symbolique - voire magique - et utilitaire de l’outil : à l’instar du compas des Compagnons du Devoir, devenu symbole philosophique de la Franc-maçonnerie, ou encore du dodécaèdre gallo-romain, mystérieux objet de divination, présentés dans cette section. Par leur préciosité ou par le sens dont ils ont été investis, ces objets, à l’origine simples instruments, deviennent de puissants symboles de l’humanité et des vecteurs de contemplation.
En 1930, l’ethnologue Marcel Griaule publie dans la revue Documents[1] un article intitulé « Poterie » dans lequel il dénonce les archéologues et les esthètes qui admirent, dit-il, « la forme d’une anse » mais se gardent bien « d’étudier la position de l’homme qui boit ». La forme de chaque objet, dans son contexte d’émergence, est liée à un usage – qu’il s’agisse d’un ustensile, d’un objet d’art appliqué ou même d’une œuvre d’art.
Dans ce texte, Griaule déplore le processus de décontextualisation que l’on fait subir aux objets lorsqu’ils intègrent le musée pour acquérir une valeur esthétique. Dévitalisés de leur fonction d’usage dans cette enceinte sacrée, ils deviennent des objets de contemplation qui n’ont pour seule justification que la classification qui les subsume.
« L’Usage des formes » s’intéresse non seulement à « l’homme qui boit » mais également à celui qui, parce qu’il boit, fabrique une anse. L’exposition regroupe des objets et des œuvres issues d’époques et de domaines variés : métiers d’art[2], arts plastiques, design et architecture. Chacun de ces artefacts témoigne d’une valeur d’usage. La plupart appartient à la catégorie des instruments techniques dont le champ d’action est infini : certains servent à transformer la matière, d’autres à révéler l’invisible, extraire des données, produire de l’information ou communiquer. Ils prolongent nos organes dans leur fonction d’appréhension du monde. Selon le philosophe Gilbert Simondon, les instruments techniques sont des êtres « allagmatiques », c’est-à-dire des éléments d’échange entre l’homme et son environnement ; de cet échange naît la culture.
Deux entités complémentaires incarnent le rapport à l’outil. L’homo faber construit des instruments pour effectuer le transfert de la nature à la culture. L’homo ludens joue à détourner les outils de production et les instruments de la connaissance créés par l’homo faber afin de faire surgir de nouvelles possibilités. Parfois, ces deux attitudes coexistent au sein de la pratique d’un même créateur. En exposant les outils et les échantillons prélevés dans les ateliers d’artisans d’art, mis en regard avec ceux des plasticiens et des designers, l’exposition « L’Usage des formes » met en scène ces deux conceptions entrelacées de l’invention, et la manière dont les gestes techniques sont porteurs de sens et de connaissance.
Dans Les Gestes, le philosophe Vilém Flusser décrit le moment où, à l’issue d’une production, « les mains se retirent de l’objet, ouvrent leurs paumes en un angle large et laissent glisser l’objet dans le contexte de la culture [...], non quand elles sont satisfaites de l’œuvre, mais quand elles savent que toute continuation du geste de faire serait insignifiante pour l’œuvre ». Ce geste est aussi celui du don, affirme-t-il. C’est « le geste d’exposer » que « L’Usage des formes » met en scène au sein d’un espace scénographique où flotte encore la survivance de l’usage des formes présentées.
Gallien Déjean
Image: Robert Stadler, Understand what you love. Résine polyester, acier 29,5 x 10,5 x 2 cm. Edition de 15. Edition galerie de multiples. Photo : Patrick Gries. © ADAGP, Paris 2015