martedì 2 ottobre 2012

JEAN-JACQUES LEFRÈRE, JEAN-PAUL GUJON: MYSTIFICATIONS AU XIX SIÈCLE - LEROT 2012

JEAN-JACQUES LEFRÈRE, JEAN-PAUL GUJON
MYSTIFICATIONS AU XIX SIÈCLE
Un homme de lettres non recommandées
Ed. du Lérot, 10/09/2012 

PAUL MASSON, UN ARTISTE DU CANULAR 

Les plaisanteries les plus longues sont les meilleures. C'est ce que semble penser Paul Masson, qui a passé une grande partie de sa vie (1849-1896) à monter des canulars. 
Pour commettre ses méfaits, il avait pris le nom de Lemice-Terrieux - avec un tel pseudonyme, il aurait dû susciter la méfiance. Aujourd'hui, l'énergumène fait l'objet d'une biographie signée Jean-Jacques Lefrère et Jean-Paul Goujon, coauteurs d'«Ôte-moi d'un doute…» L'énigme Corneille-Molière (Fayard) où ils se demandaient si Corneille n'était pas le véritable auteur des plus grandes comédies attribuées à Molière. Une enquête de référence. 
Pour Lefrère et Goujon, grands amateurs d'énigmes littéraires, la mystification est une sorte d'oeuvre d'art. Et Paul Masson, l'un des plus grands artistes du genre. «Il fut aussi un vrai moraliste, si par moraliste, on entend un observateur lucide de l'homme et de la société», ajoutent-ils. Les deux compères soulignent que Masson avait compris la puissance de la presse et de l'opinion publique. Aujourd'hui, avec Internet et le flux d'informations en continu, il se serait sans doute régalé. 
Il y a, en effet, quelque chose de politique dans la démarche de ce grand farceur: les mystifications sont des provocations, une sorte de philosophie. «Les fausses nouvelles qu'il répandait contribuaient à créer une réalité seconde, aussi plausible que l'autre, et qui se substituait aisément à elle. Le faux et le vrai ne se différenciaient plus: tout pouvait devenir vrai, il suffisait de savoir s'y prendre», expliquent Lefrère et Goujon. Avec Alphonse Allais, les surréalistes, les pataphysiciens, François Caradec et, plus près de nous, Frédéric Pagès, on savait que mystification pouvait rimer avec politique. Mais, reconnaissons-le, c'est surtout un jeu où il est question d'intelligence et de culture. 
Le pire, si l'on ose dire, est que Paul Masson possédait tous les attributs d'un homme sérieux et tout ce qu'il y a de présentable : formé par les Jésuites, étudiant en droit, il a embrassé la carrière d'avocat, puis il a occupé le poste de procureur de la République à Chandernagor et à Pondichéry. Dans la première ville, le magistrat a eu à traiter d'un cas - un faux reportage sur les Jésuites expulsés de Chandernagor qui a fait beaucoup de bruit - dont il était lui-même l'auteur… Paul Masson contre Lemice-Terrieux! Il est allé jusqu'à enquêter de longs mois sur ses propres turpitudes et, après de multiples voyages en Inde, a remis un rapport affirmant que tout cela était une supercherie… Cet épisode illustre à merveille le soin et le temps que Masson mettait à concevoir ses mystifications. Un travail d'orfèvre. Il a fini sa carrière en étant chargé de catalogue au sein de la Bibliothèque nationale où il a établi de nombreuses vraies fausses notices bibliographiques… Notre préférée? Recherches sur les peintres aveugles. Il paraît que certaines de ses notices circulent encore. 
Tout mystificateur met dans son viseur une institution telle que l'Académie française. On l'a encore vu récemment avec la fausse lettre de candidature adressée au nom de Patrick Poivre d'Arvor, mais ce qu'a réalisé Paul Masson en mai 1890 est d'un autre niveau et relève de l'excellence. Difficile de résumer la supercherie en quelques lignes ; mais, en gros, l'affaire concernait l'élection de mai 1890 que l'on a appelée «la bataille académique» car treize candidats, et pas des moindres, s'affrontaient: Pierre Loti, Émile Zola, Henry Houssaye, Henry Becque, Paul Thureau-Dangin, etc. C'est l'historien Thureau-Dangin qui arrive en tête avec huit voix, mais il n'obtient pas la majorité. Après sept tours de scrutin, l'élection est reportée. C'est à ce moment-là qu'intervient Paul Masson. Connaissant parfaitement les délais de bouclage de chaque publication et leur impossibilité à vérifier l'information en temps, il expédie une lettre de désistement de chacun des treize candidats à treize journaux. L'affaire a un large retentissement. Que l'on se rassure: tout rentre finalement dans l'ordre, et Thureau-Dangin est bien élu à l'Académie française en 1893, il en deviendra même secrétaire perpétuel. L'affaire n'empêche pas Paul Masson de se porter lui-même candidat - il n'est pas élu. 
Lefrère et Goujon racontent un autre exploit de Masson. Cette fois, c'est à propos d'un livre attribué au général Boulanger: Réflexions et pensées, avec un sous-titre qui a l'air des plus sérieux: «Extraits de ses papiers et de sa correspondance intime». L'ouvrage, qui contient 1 100 «réflexions», fut publié en juillet 1891, quand Boulanger se trouvait en exil, condamné par contumace. Ce livre fait partie de la légende des apocryphes. Boulanger a eu beau nier son authenticité, il fut pris au piège. Dans cette collection d'apocryphes célèbres, on peut ajouter un Carnet de jeunesse, signé de Bismarck et publié par Flammarion, ainsi que la fausse vraie invention des «trains-éperons» («projet d'un dispositif aussi commode qu'infaillible pour prévenir tout accident de chemin de fer par collision ou tamponnement») qui sera doctement examinée par l'Académie des sciences… 
Paul Masson est mort en 1896. Comme un clin d'oeil à l'histoire, cette même année, un cycliste du nom de Paul Masson remporte aux Jeux olympiques d'Athènes trois médailles d'or. Lemice-Terrieux aurait sans doute exploité avec humour cette homonymie heureuse. Lui méritait amplement la médaille d'or des mystificateurs. 

Mohammed Assaoui
lefigaro.fr 26/9/2012

(http://www.lefigaro.fr/livres/2012/09/26/03005-20120926ARTFIG00700-paul-masson-un-artiste-du-canular.php)