RAYMOND HAINS
L'ENTRETIEN INFINI
MAMCO (Museée d’art moderne et contemporain)
10, rue des Vieux-Grenadiers - Genève
9/6/2015 al 13/9/2015
L’Entretien infini présente un ensemble d’œuvres de Raymond Hains appartenant à la collection du Frac Bretagne. Ces acquisitions sont issues d’un long compagnonnage entre l’institution et l’artiste, lui-même né en Bretagne (à Saint-Brieuc). Elles rendent compte de plusieurs aspects et de plusieurs moments de l’activité d’une personnalité et d’un travail proliférants. C’est ainsi que des pièces des années 1950 voisinent avec celles des années 2000 et que des gestes et des techniques très divers (photos, sérigraphies, gouaches, objets trouvés) sont réunis.
Signée le 27 octobre 1960 dans l’atelier de Yves Klein par une dizaine d’artistes, dont R. Hains, la « Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme », ou « Manifeste du Nouveau Réalisme », bientôt suivie par une seconde déclaration, prônait le retour à la réalité comme telle et, selon Pierre Restany son rédacteur, « une nouvelle approche perceptive » du monde.
Raymond Hains ne fut pas peu actif dans cette réinvention de notre capacité de voir et de sentir, ce dont témoigne l’ensemble d’œuvres appartenant au Frac Bretagne. Ainsi les photos datées de 2003 ont-elles été réalisées à l’occasion d’une exposition de R. Hains dans sa ville natale, ce qui l’a amené à arpenter ce territoire familier et à le redécouvrir. La photo titrée Passage Saint-Guillaume est autobiographique : elle a été faite dans la rue qui a vu naître l’artiste. De même, Les Vedettes vertes à Dinard renvoie au grand-père de R. Hains fondateur de cette entreprise qui transportait les passagers de Dinard à Saint-Malo.
Cependant, ces vues dépassent l’anecdote pour nous proposer des associations visuelles ludiques et perspicaces qui traduisent l’acuité d’un regard toujours aux aguets, toujours en train de réinventer le monde. Dans Les Vedettes vertes à Dinard, par exemple, on peut voir, à travers ce passage donnant sur une baie, un tableau dans le tableau et un hommage simple et astucieux aux marines qui ont dû accompagner l’enfance de R. Hains.
Les dix gouaches datées des années 1950-1953 appartiennent à une étape antérieure du travail. Ce sont des images hypnagogiques, c’est-à-dire qui signent notre entrée dans le sommeil et le rêve. Elles ont été produites par la déformation d’un motif, processus rendu possible par une machine inventée par l’artiste Jacques Villeglé, l’hypnagogoscope. Ces planches ont servi à la réalisation d’un film réalisé par R. Hains et J. Villeglé, Pénélope. C’est dire qu’ici, les techniques et les prises de vues participent d’associations qui encouragent une prolifération de mondes.
Une autre sorte d’image déformée est fournie par cette collection d’affiches de la Biennale de Venise, La Biennale éclatée. Le motif initial est chahuté jusqu’à être parfois perdu de vue. On passe ainsi de la réalité à son abstraction (n’oublions pas qu'Yves Klein qualifiait R. Hains de « Raymond l’abstrait »), du message et de la communication à l’indistinction des signes. Et dans cette itération, c’est bien le regard qui est à l’œuvre, celui d’un sujet qui ne peut jamais laisser la réalité telle quelle, qui la regarde sans cesse c’est-à-dire qui la transforme toujours.
C’est aussi ce que permet de vérifier Sans titre (1959), une tôle recouverte d’affiches lacérées, le tout accroché au mur ayant l’apparence d’un tableau. R. Hains a vraisemblablement trouvé cet « objet », le seul de cette exposition appartenant au Mamco, au cours d’une de ses nombreuses marches. Il a prélevé ce qui lui est apparu comme visuellement intéressant pour en faire un tableau, convertissant ainsi ce qui est de l’ordre du rebut en une forme picturale qui annoblit le déchet.
C’est dire que, pour lui, l’origine de l’art est avant tout readymade, c’est-à-dire toujours déjà créée, et qu’il revient à l’artiste non pas de travailler à partir de rien mais en fonction de ce qu’il trouve dans la réalité comme telle. Le fait que le point de départ de cette œuvre soit une publicité la situe dans la société de consommation célébrée à cette époque par le pop art anglais et américain.
L’histoire de l’art — les maîtres anciens — n’est donc pas, elle non plus, le point de départ de l’art. Comme d’autres artistes avec lui qualifiés d’« affichistes » (Jacques Villeglé, François Dufrêne, Mimmo Rotella), R. Hains fait de l’imagerie urbaine la plus répandue et la plus populaire un outil pour déplacer le statut historique du tableau. Et ce déplacement est ici en partie réalisé à partir d’une image de rue anonyme, laquelle aboutit à une « toile » qui ne requiert en aucune manière, pour exister, la maîtrise de la technique picturale.
Raymond Hains est né en 1926 à Saint-Brieuc. Il est décédé en 2005 à Paris.
Image: Raymond Hains, Les Vedettes vertes à Dinard, 2003 (Crédit photographique : Hervé Beurel © Adagp)
L'ENTRETIEN INFINI
MAMCO (Museée d’art moderne et contemporain)
10, rue des Vieux-Grenadiers - Genève
9/6/2015 al 13/9/2015
L’Entretien infini présente un ensemble d’œuvres de Raymond Hains appartenant à la collection du Frac Bretagne. Ces acquisitions sont issues d’un long compagnonnage entre l’institution et l’artiste, lui-même né en Bretagne (à Saint-Brieuc). Elles rendent compte de plusieurs aspects et de plusieurs moments de l’activité d’une personnalité et d’un travail proliférants. C’est ainsi que des pièces des années 1950 voisinent avec celles des années 2000 et que des gestes et des techniques très divers (photos, sérigraphies, gouaches, objets trouvés) sont réunis.
Signée le 27 octobre 1960 dans l’atelier de Yves Klein par une dizaine d’artistes, dont R. Hains, la « Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme », ou « Manifeste du Nouveau Réalisme », bientôt suivie par une seconde déclaration, prônait le retour à la réalité comme telle et, selon Pierre Restany son rédacteur, « une nouvelle approche perceptive » du monde.
Raymond Hains ne fut pas peu actif dans cette réinvention de notre capacité de voir et de sentir, ce dont témoigne l’ensemble d’œuvres appartenant au Frac Bretagne. Ainsi les photos datées de 2003 ont-elles été réalisées à l’occasion d’une exposition de R. Hains dans sa ville natale, ce qui l’a amené à arpenter ce territoire familier et à le redécouvrir. La photo titrée Passage Saint-Guillaume est autobiographique : elle a été faite dans la rue qui a vu naître l’artiste. De même, Les Vedettes vertes à Dinard renvoie au grand-père de R. Hains fondateur de cette entreprise qui transportait les passagers de Dinard à Saint-Malo.
Cependant, ces vues dépassent l’anecdote pour nous proposer des associations visuelles ludiques et perspicaces qui traduisent l’acuité d’un regard toujours aux aguets, toujours en train de réinventer le monde. Dans Les Vedettes vertes à Dinard, par exemple, on peut voir, à travers ce passage donnant sur une baie, un tableau dans le tableau et un hommage simple et astucieux aux marines qui ont dû accompagner l’enfance de R. Hains.
Les dix gouaches datées des années 1950-1953 appartiennent à une étape antérieure du travail. Ce sont des images hypnagogiques, c’est-à-dire qui signent notre entrée dans le sommeil et le rêve. Elles ont été produites par la déformation d’un motif, processus rendu possible par une machine inventée par l’artiste Jacques Villeglé, l’hypnagogoscope. Ces planches ont servi à la réalisation d’un film réalisé par R. Hains et J. Villeglé, Pénélope. C’est dire qu’ici, les techniques et les prises de vues participent d’associations qui encouragent une prolifération de mondes.
Une autre sorte d’image déformée est fournie par cette collection d’affiches de la Biennale de Venise, La Biennale éclatée. Le motif initial est chahuté jusqu’à être parfois perdu de vue. On passe ainsi de la réalité à son abstraction (n’oublions pas qu'Yves Klein qualifiait R. Hains de « Raymond l’abstrait »), du message et de la communication à l’indistinction des signes. Et dans cette itération, c’est bien le regard qui est à l’œuvre, celui d’un sujet qui ne peut jamais laisser la réalité telle quelle, qui la regarde sans cesse c’est-à-dire qui la transforme toujours.
C’est aussi ce que permet de vérifier Sans titre (1959), une tôle recouverte d’affiches lacérées, le tout accroché au mur ayant l’apparence d’un tableau. R. Hains a vraisemblablement trouvé cet « objet », le seul de cette exposition appartenant au Mamco, au cours d’une de ses nombreuses marches. Il a prélevé ce qui lui est apparu comme visuellement intéressant pour en faire un tableau, convertissant ainsi ce qui est de l’ordre du rebut en une forme picturale qui annoblit le déchet.
C’est dire que, pour lui, l’origine de l’art est avant tout readymade, c’est-à-dire toujours déjà créée, et qu’il revient à l’artiste non pas de travailler à partir de rien mais en fonction de ce qu’il trouve dans la réalité comme telle. Le fait que le point de départ de cette œuvre soit une publicité la situe dans la société de consommation célébrée à cette époque par le pop art anglais et américain.
L’histoire de l’art — les maîtres anciens — n’est donc pas, elle non plus, le point de départ de l’art. Comme d’autres artistes avec lui qualifiés d’« affichistes » (Jacques Villeglé, François Dufrêne, Mimmo Rotella), R. Hains fait de l’imagerie urbaine la plus répandue et la plus populaire un outil pour déplacer le statut historique du tableau. Et ce déplacement est ici en partie réalisé à partir d’une image de rue anonyme, laquelle aboutit à une « toile » qui ne requiert en aucune manière, pour exister, la maîtrise de la technique picturale.
Raymond Hains est né en 1926 à Saint-Brieuc. Il est décédé en 2005 à Paris.
Image: Raymond Hains, Les Vedettes vertes à Dinard, 2003 (Crédit photographique : Hervé Beurel © Adagp)