martedì 14 ottobre 2014

ROBERT DELAUNAY: RYTHMES SANS FIN - CENTRE POMPIDOU, PARIS




ROBERT DELAUNAY
RYTHMES SANS FIN
Commissaire : Angela Lampe
Centre Pompidou - Paris
15 octobre 2014 - 12 janvier 2015

L'exposition « Rythmes sans fin » que consacre le Centre Pompidou à l'extraordinaire richesse du fonds Robert Delaunay regroupe environ quatre-vingts œuvres, peintures, dessins, reliefs, mosaïques, maquettes, une tapisserie et un grand nombre de photographies documentaires. Grâce à l'importante donation que Sonia Delaunay et son fils Charles ont consentie au musée national d'art moderne en 1964, le Centre Pompidou est aujourd’hui le détenteur du plus riche ensemble d'œuvres de Robert et Sonia Delaunay au monde. « Rythmes sans fin » explore la surprenante production que Robert Delaunay entame à l'issue de la guerre. Notamment durant les années 1930, il éprouve un regain d'intérêt pour la peinture murale et élargit ainsi le champ de son travail à l’environnement moderne en évoluant vers la monumentalité. L'exposition révèle comment sa peinture sort successivement du plan du tableau pour investir l’espace architectural.
La deuxième partie de l’exposition est consacrée aux spectaculaires projets de décoration que Robert Delaunay – avec l’architecte Félix Aublet – réalise pour le Palais des chemins de fer et le Palais de l’air, et qui font sensation à l’Exposition internationale de 1937.
La sélection est complétée, notamment, par des projets publicitaires issus du fonds Delaunay de la Bibliothèque nationale de France et par des plans d’architecture conservés aux Archives nationales.
Si pour Baudelaire la modernité se définit par la temporalité – le transitoire contre l’immuable –, elle se présente pour Robert Delaunay par sa démesure. Sous l’effet des nouveautés urbaines allant du gigantisme de la tour Eiffel à l’impact des panneaux-réclames, en passant par l’électrification des rues et l’essor de l’aviation, il perçoit cette modernité comme un débordement visuel, une sensation optique qui submerge : monumentale, éblouissante et fulgurante. Comment transposer en formes et en couleurs la profusion des angles de vue inédits, la mobilité accrue, la stimulation incessante de nos nerfs optiques, tous ces chocs simultanés qui rythment la vie urbaine moderne ? Cette quête d’une « peinture pure », qui met l’œil du spectateur en prise directe avec l’agitation du réel, se confond avec une mise à l’épreuve du médium même de la peinture de chevalet. Du premier Paysage au disque de 1906, au revers de son Autoportrait, aux premières formes circulaires peintes en 1913, Delaunay, inspiré tant par les théories astrales que par le mouvement des hélices et des halos des lampes électriques, cherche à dépasser les limites imposées par le format de la toile en intégrant une dynamique giratoire dans ses compositions. Au gré de ses recherches picturales qui l’amènent à sa « première peinture inobjective » avec son premier disque de 1913, l’acte de voir s’impose comme le sujet de sa peinture. Parce qu’elle agit directement sur la sensibilité du spectateur, cette peinture revêt pour Delaunay « un aspect populaire ». Se comprend également son désir d’abandonner le chevalet et de sortir de l’atelier : ne devrait-on pas voir la peinture simultanée partout, dans la rue, dans les magasins, au théâtre, au cinéma, dans les appartements et sur les bâtiments ?

Une quête d'une « peinture pure », qui met l'œil du spectateur en prise directe avec l'agitation du réel.
Après de premières expériences avec le cinéaste Abel Gance, en 1913, et les projets imaginés avec des ballets russes en Espagne, en 1918, c’est à Paris, où Robert et Sonia s'installent en 1921, que Robert Delaunay s’intéresse davantage aux arts appliqués. Il se met à concevoir des projets d’affiches publicitaires. Jusqu’en 1924, il exécute près d’une trentaine d’études. Aucun de ces projets ne verra le jour. Allant de la promotion de marques d’apéritifs ou de voitures, en passant par les manifestations publiques, ces projets lui permettent d’associer ses formes circulaires, hélices et disques, à l’environnement urbain. L’importance que Robert Delaunay, comme Fernand Léger, accorde au spectacle de la rue – des affiches à la devanture des magasins – reflète la nouvelle ambition qui anime alors les artistes : la réorganisation plastique du monde contemporain. Les peintres, désenchantés par leur pratique solitaire et solipsiste, cherchent à participer activement à une mise en forme de la modernité urbaine. Pour cela, le meilleur moyen leur semble l’intégration de leur art à l’architecture. Il n’est donc pas étonnant qu’en 1925, l’architecte Robert Mallet-Stevens fasse appel tant à Delaunay qu’à Léger pour décorer le hall d’une fictive ambassade française présentée à l’Exposition des arts décoratifs. Dans un vaste espace clair et dégagé, Delaunay installe une nouvelle version, verticale et étroite, de La Ville de Paris, grande peinture ambitieuse conçue pour le Salon des indépendants de 1912. Cette participation permet à Delaunay, pour la première fois, d’intégrer sa peinture dans un contexte architectural contemporain et de tester l’impact de ses compositions à une échelle monumentale. Il renouvelle cette expérience l’année suivante en collaborant avec le metteur en scène René Le Somptier pour le film Le P’tit Parigot. Robert choisit plusieurs de ses tableaux récents, d’un imposant format, pour orner les murs de l’appartement moderniste dans lequel le film est tourné, notamment la troisième version du Manège de cochons de 1922.

Une nouvelle ambition anime les artistes : la réorganisation plastique du monde contemporain.
L'année 1930 marque un tournant. Robert Delaunay abandonne définitivement la peinture figurative, en particulier la réalisation de portraits de ses amis pratiquée depuis son retour en France, notamment pour des raisons financières. Il revient à ses formes circulaires d’avant-guerre pour leur extirper tout référent figuratif. Sa peinture Rythmes, Joie de vivre aux couleurs vives marque la transition vers le corpus Rythmes sans fin ou Rythmes, picturalement encore plus radical et emblématique de la production de ses dernières années. Le contraste entre les tons noirs et blancs structure le mouvement sinusoïdal qui anime les surfaces. Selon l’artiste, ces œuvres pourraient « se marier intimement avec l’architecture, tout en étant architectoniquement construites en soi ». Au lieu d’intervenir sur une surface, elles respectent le plan du mur et reprennent l’agencement spatial, comme si elles prolongeaient l’expérience de la déambulation.
Très rapidement, le projet des Rythmes sans fin dépasse le médium de la peinture. Dans une lettre à son ami Albert Gleizes, Delaunay dit travailler « comme un forcené » pour développer sur tous les plans le travail de nouvelles matières. En 1935, il expose des revêtements muraux en relief et en couleurs d’une totale nouveauté technique, réalisés avec une extraordinaire variété de matériaux. Les surfaces s’animent par un jeu de textures entre des parties lisses et rugueuses ou encore entre des éléments brillants et mats. Delaunay ne vise rien de moins qu’une révolution dans les arts, non plus dans le champ pictural, mais sur le terrain de l’architecture. « Je fais la révolution dans les murs », déclare-t-il en 1935. Ces recherches sur les revêtements ne sont alors qu’une étape vers la réalisation d’un grand projet d’architecture. Cette opportunité se présente avec l’aménagement des deux pavillons dédiés aux transports modernes, à l’occasion de l’Exposition internationale « Arts et techniques dans la vie moderne » qui se tient en 1937 à Paris. L’invention d’un nouveau matériau translucide et coloré, le Rhodoïd, permet à Delaunay, en combinaison avec les projections lumineuses, d’effacer la matérialité des bâtiments. L’intérieur du Palais de l’air notamment se dissout en un spectacle polychrome purement atmosphérique, comme si Delaunay cherchait à mettre en scène la profusion de sensations dont il ne s’est jamais lassé, celles mêmes que nous procure la vie moderne.

« Une peinture créant un ordre d’architecture, c’est la définition même des caractéristiques de l’art et son utilité dans la vie moderne. »
Robert Delaunay, 1939-1940

Par Angela Lampe, conservateur, musée national d'art moderne, commissaire d'exposition.