domenica 9 dicembre 2012

PHILIPPE ESNAULT: ANTOINE CINEASTE - L'AGE D'HOMME 2011



PHILIPPE ESNAULT
ANTOINE CINEASTE
L'Age d'Homme, 20/12/2011

André Antoine (1858-1943), fondateur du Théâtre-Libre en 1887 puis du Théâtre Antoine dix ans plus tard, a été à la tête d’un mouvement novateur cherchant à libérer le théâtre du Boulevard et des conventions en se liant au courant naturaliste, en s’ouvrant au théâtre scandinave, en sollicitant de nouveaux auteurs et en prônant un autre jeu d’acteur, en donnant, enfin, au metteur en scène un rôle de premier plan. La rupture qu’il opéra et à laquelle participa un Firmin Gémier, membre de sa troupe, permit l’avènement des metteurs en scène des années vingt à cinquante qui firent le théâtre en France : Copeau, Dullin, Jouvet, Vilar, bien que ceux-ci tournassent le dos au naturalisme parfois cru d’Antoine. Mais ce révolutionnaire de la scène fit également du cinéma entre 1914 et 1923 où ses préceptes bousculèrent, là aussi, les conventions de jeu et les toiles peintes : lui qui avait introduit l’éclairage électrique sur scène préconisa au cinéma le plein air, le décor naturel et les acteurs non professionnels dans des adaptations de Dumas (les Frères corses), de Coppée (le Coupable), de Bernstein (Israël), de Zola (la Terre), de Daudet (l’Arlésienne), de Hugo (les Travailleurs de la mer). 
La sortie en 1984 de son chef-d’œuvre inédit, l’Hirondelle et la Mésange (1920) – resté à l’état de rushes par la volonté du producteur Charles Pathé et reconstitué par Henri Colpi, avec la collaboration de Philippe Esnault –, consacra la « réhabilitation » d’Antoine cinéaste, négligé depuis soixante ans par l’histoire du cinéma, méconnu des commentateurs et des critiques. Ce film, tourné sur les canaux du Nord, parmi les mariniers, au gré des écluses et des villes qui s’échelonnent sur l’itinéraire, mêle les acteurs aux populations et aux travailleurs, offrant ainsi un cadre documentaire à un récit dramatique devenu presque naturel. 
La découverte par Philippe Esnault en 1956 du Coupable, projeté fortuitement à la Cinémathèque française, lui révéla une sobriété de jeu d’acteur, une simplicité de mise en scène, une vérité des décors à l’opposé des films de l’époque. Il devint dès lors l’un des artisans les plus déterminés à donner enfin à Antoine sa juste place dans l’histoire du cinéma. Explorant les archives familiales et les nombreux écrits d’Antoine sur le cinéma, il publia de 1957 à 1989 nombre d’articles sur le cinéaste, documenta avec précision sa démarche et l’importance de son apport et anima, en Italie notamment, à de nombreuses reprises, des Rencontres sur le cinéaste. Pour lui, Antoine a ouvert au cinéma français la voie du réalisme – celle que pratiqueront Renoir, Grémillon, Vigo quelques années plus tard. 
La malchance d’Antoine, lutteur solitaire, fut d’accéder bien tard au cinéma et d’y travailler dans une période éprouvante (1914-1924). En découvrant ses meilleurs films – le Coupable, la Terre, l’Hirondelle et la Mésange –, le spectateur d’aujourd’hui ne peut manquer d’être frappé par leur force et leur évidence avant de se rendre compte que ce naturel, cette simplicité s’enveloppent de stylisation subtile. 
L’œuvre d’Antoine est avant tout l’application d’un projet : prendre sur le fait la vie naturelle et sociale pour que le public s’y réfléchisse, promouvoir un théâtre et un cinéma populaires. 

Philippe Esnault (1930-2008), ancien élève de l’Idhec où il enseigna, secrétaire d’Abel Gance, animateur de ciné-clubs, producteur à France-Culture, voua une grande partie de son acti­vité de recherche à la création d’un fonds documentaire (image et son) sur le cinéma français (déposé à la BNF) et à la redécouverte de l’œuvre cinématographique d’André Antoine.