PHILOSOPHIE 118
PATOCKA ET LA QUESTION DU MONDE
La question du monde s’impose aujourd’hui comme une question phénoménologique majeure. Mais elle ne s’en impose pas moins à partir des acquis de la phénoménologie : c’est d’abord avec Husserl que la question du monde quitte l’horizon de l’objectivation, au sens où l’intentionnalité (puis l’In-der-Welt-Sein de Heidegger) projette la conscience dans le monde sans l’écran de la représentation. La phénoménologie revient ainsi au « monde même », pour le laisser apparaître non plus selon la figure métaphysique de l’objet, mais selon la figure de l’horizon (Husserl, Heidegger), de la chair (Merleau-Ponty), ou encore du mouvement, voire de l’événement (Patočka).
L’actualité de cette question s’explique notamment par les recherches de plus en plus nombreuses et précises autour d’un phénoménologue qui en a fait la question centrale de son œuvre (avec celle, corrélative et peut-être même première, de la liberté) : Patočka. Toutes ses analyses apparaissent comme des avancées décisives – voire, pour le moment, indépassables – parce qu’à travers les possibilités interprétatives qu’elles déploient, elles parviennent à nouer le dialogue entre des orientations différentes, donc à faire bouger les lignes : d’un côté, une orientation plutôt husserlienne qui insiste sur le mouvement, de l’autre, une orientation plutôt heideggérienne qui privilégie l’événement.
Ce numéro consacré à Patočka et la question du monde vise donc un double objectif : dégager les grandes lignes d’interprétation de la pensée de Patočka sur la question du monde, et ménager la voie à des pensées renouvelées du monde comme de l’ego. Le monde n’est pas originairement la totalité des objets que constitue la conscience, mais la totalité des possibles qui précède et rend possible toute constitution, y compris la constitution de l’ego en tant que conscience. Dans ce renversement, l’ego perd son statut d’ego transcendantal, si bien que la question du monde pose finalement la question de l’ego : comment concevoir un ego dont on reconnaît la dépendance originaire à l’égard du monde ?
À travers la question du monde chez Patočka, l’ensemble des textes de ce numéro ont ainsi pour enjeu de frayer de nouveaux chemins dans la longue élaboration de ce que Husserl considérait comme la tâche propre de la phénoménologie : l’a priori universel de corrélation. Tous s’accordent pour affirmer, à la suite de Patočka, qu’il réside dans l’essence dynamique du monde et de l’ego, c’est-à-dire dans la structure dynamique de la corrélation. Mais encore reste-t-il à en spécifier la nature : s’agit-il d’une structure d’appel et de réponse entre deux termes irréductibles (orientation événementiale), ou simplement d’une structure du monde (orientation cosmologique) ?
Les réponses divergent et ouvrent un espace de débat entre les différents articles, tous néanmoins focalisés sur un point particulier : le legs d’une question de Husserl à Patočka, le rapport entre Fink et Patočka, l’apparaître, la naissance, le mouvement, la liberté, et la donation. Au lecteur de tracer à présent son propre chemin dans l’espace ouvert par ces différentes voix.
-- Émilie Tardivel
PATOCKA ET LA QUESTION DU MONDE
La question du monde s’impose aujourd’hui comme une question phénoménologique majeure. Mais elle ne s’en impose pas moins à partir des acquis de la phénoménologie : c’est d’abord avec Husserl que la question du monde quitte l’horizon de l’objectivation, au sens où l’intentionnalité (puis l’In-der-Welt-Sein de Heidegger) projette la conscience dans le monde sans l’écran de la représentation. La phénoménologie revient ainsi au « monde même », pour le laisser apparaître non plus selon la figure métaphysique de l’objet, mais selon la figure de l’horizon (Husserl, Heidegger), de la chair (Merleau-Ponty), ou encore du mouvement, voire de l’événement (Patočka).
L’actualité de cette question s’explique notamment par les recherches de plus en plus nombreuses et précises autour d’un phénoménologue qui en a fait la question centrale de son œuvre (avec celle, corrélative et peut-être même première, de la liberté) : Patočka. Toutes ses analyses apparaissent comme des avancées décisives – voire, pour le moment, indépassables – parce qu’à travers les possibilités interprétatives qu’elles déploient, elles parviennent à nouer le dialogue entre des orientations différentes, donc à faire bouger les lignes : d’un côté, une orientation plutôt husserlienne qui insiste sur le mouvement, de l’autre, une orientation plutôt heideggérienne qui privilégie l’événement.
Ce numéro consacré à Patočka et la question du monde vise donc un double objectif : dégager les grandes lignes d’interprétation de la pensée de Patočka sur la question du monde, et ménager la voie à des pensées renouvelées du monde comme de l’ego. Le monde n’est pas originairement la totalité des objets que constitue la conscience, mais la totalité des possibles qui précède et rend possible toute constitution, y compris la constitution de l’ego en tant que conscience. Dans ce renversement, l’ego perd son statut d’ego transcendantal, si bien que la question du monde pose finalement la question de l’ego : comment concevoir un ego dont on reconnaît la dépendance originaire à l’égard du monde ?
À travers la question du monde chez Patočka, l’ensemble des textes de ce numéro ont ainsi pour enjeu de frayer de nouveaux chemins dans la longue élaboration de ce que Husserl considérait comme la tâche propre de la phénoménologie : l’a priori universel de corrélation. Tous s’accordent pour affirmer, à la suite de Patočka, qu’il réside dans l’essence dynamique du monde et de l’ego, c’est-à-dire dans la structure dynamique de la corrélation. Mais encore reste-t-il à en spécifier la nature : s’agit-il d’une structure d’appel et de réponse entre deux termes irréductibles (orientation événementiale), ou simplement d’une structure du monde (orientation cosmologique) ?
Les réponses divergent et ouvrent un espace de débat entre les différents articles, tous néanmoins focalisés sur un point particulier : le legs d’une question de Husserl à Patočka, le rapport entre Fink et Patočka, l’apparaître, la naissance, le mouvement, la liberté, et la donation. Au lecteur de tracer à présent son propre chemin dans l’espace ouvert par ces différentes voix.
-- Émilie Tardivel