
 
WIFREDO LAM
Commissaire : Catherine 
David
Centre Pompidou
place Georges Pompidou - Paris
30 septembre 2015 
- 15 février 2016 
Le Centre Pompidou consacre, pour la première fois, 
une rétrospective à l’oeuvre de Wifredo Lam, à travers un parcours de près de 
trois cents oeuvres – peintures, dessins, gravures, céramiques – enrichi 
d’archives, de documents et de photographies témoins d'une vie engagée dans un 
siècle bouleversé. 
L’oeuvre de Wifredo Lam occupe une place singulière et 
paradoxale dans l’art du 20ème siècle, exemplaire des circulations plurielles 
des formes et des idées dans le contexte des avant-gardes, échanges et 
mouvements culturels inter et transnationaux qui ont constitué le « modernisme 
élargi » décrit par Andreas Huyssen autrement et bien avant que la question de 
la globalisation ne soit posée dans les années 1990. 
Reconnue et présente à 
partir des années 1940 dans les collections privées et muséales, célébrée 
internationalement, l’oeuvre de Wifredo Lam est encore l’objet de malentendus et 
d'enthousiasmes réducteurs. Si elle a en effet reçu l’attention, les 
encouragements et les commentaires d’auteurs essentiels rencontrés dès la fin 
des années 1930 à Paris (Picasso, Michel Leiris, André Breton), puis aux 
Antilles, à Cuba et en Haïti dans les années 1940 (Aimé Césaire, Fernando Ortiz, 
Alejo Carpentier, Lydia Cabrera, Pierre Mabille…), certaines approches 
culturalistes ont altéré la perception d’une oeuvre complexe qui s'invente et 
s'articule entre divers espaces géographiques et culturels, et en tension entre 
centre(s) et périphéries supposés de la modernité. Cette exposition revient sur 
la genèse du travail mais aussi sur les diverses étapes et conditions de la 
réception et de l’intégration progressives d'une oeuvre patiemment construite 
entre Espagne, Paris-Marseille et Cuba, dans le corpus de l'art moderne 
canonique. 
Retrouvées en Espagne après la mort de l'artiste, les oeuvres 
réalisées dans les villes où il a vécu ou séjourné, et abandonnées à des amis 
lors de son départ précipité vers la France après la victoire des armées 
franquistes pendant la guerre civile, témoignent d’un long et difficile 
apprentissage (1923-1938) dans l’ex-métropole coloniale où le jeune Cubain est 
envoyé avec une bourse. Il étudie les oeuvres des maîtres exposées au musée du 
Prado et les peintres espagnols contemporains, académiques ou plus novateurs. 
Ses choix formels sont éclectiques et empruntent aux esthétiques fin de siècle 
et expressionniste, puis au cubisme tardif, une « syntaxe » transnationale 
adoptée à partir des années 1920-1930 par les artistes du monde entier pour 
contester ou transformer les formes et les ordres dominants, dans une démarche 
où l’acte critique n’est pas forcément solidaire d’une révolution formelle, au 
moins dans les termes d'un canon moderne prétendu « universel ». 
Les sujets 
des oeuvres de ces années sont classiques (portraits de commande, paysages et 
natures mortes) et les oeuvres de Gris, Miró et Picasso que Lam découvre en mars 
1929, à Madrid, autant que les images des tableaux de Gauguin, des 
expressionnistes allemands et de Matisse qu'il consulte dans catalogues et 
revues l'aident à simplifier les formes et à travailler la touche en larges 
aplats de couleurs. La mort brutale de sa femme Eva Piris et de son jeune fils, 
emportés par la tuberculose en 1931, puis les épreuves de la guerre civile 
inspirent une série de maternités et de personnages implorants, et une grande 
scène de guerre. Nombre des oeuvres de cette époque sont réalisées sur papier 
pour des raisons économiques et pratiques, mais ce support restera par la suite 
le médium de prédilection de l'artiste dont un grand nombre d'oeuvres sont 
marouflées sur toile. Dans bien des figures exécutées au tournant des années 
1937-1938, à la fin du séjour espagnol et dans les premiers mois parisiens, les 
visages sont remplacés par des masques (ovales vides et monochromes ou traits 
réduits à quelques lignes géométriques) qui renvoient plus au refus de la 
psychologie et à des formes de dramatisation expressionniste qu’aux arts de 
l’Afrique qu’il découvrira à Paris dans l’atelier de Picasso et au musée de 
l’Homme, inauguré en 1938. Deux autoportraits font exception : l’un figure le 
buste d’un homme mulâtre torse nu (Autoportrait II, 1938), l’autre (Autoportrait 
I, 1937 – non exposé et reproduit dans le catalogue page 57) le visage et la 
silhouette au sexe ambigu d’un personnage aux traits métisses et vêtu d’un 
kimono fleuri. Bien que simplifiés, les traits du visage renvoient aux portraits 
photographiques de l’artiste réalisés à la même époque. Ces jeux de rôles et 
d’images photographiques apparaissent comme les premiers éléments de la 
construction d’une représentation de soi et de ses transformations successives 
au cours de sa vie et de sa carrière, qu'il se mette en scène lui-même ou à 
travers l’objectif de photographes amis (Jesse Fernandez) ou célèbres (John 
Miller ou Man Ray). Ces images participeront de la construction d’une figure 
d’artiste moderne – cubain, latino-américain et international – au gré des 
époques, des regards et des circonstances. 
Né d’un père chinois 
originaire de Canton et d’une mère mulâtre descendante d’esclaves et 
d'Espagnols, Wifredo Lam est très tôt conscient de la question raciale et de ses 
implications sociales et politiques – à Cuba, en Europe et plus tard aux 
États-Unis. Dans ses lettres d'Espagne à sa famille et à son amie Balbina 
Barrera, il exprime, au-delà des soucis quotidiens d'une vie souvent très 
précaire, une inquiétude face à la montée des périls mais aussi un malaise 
récurrent et diffus qu'il identifiera bientôt directement, à travers l'amitié et 
les échanges avec Aimé Césaire notamment, qui publie son Cahier d'un retour au 
pays natal – illustré par Lam – en 1940, à la condition coloniale. Cependant, 
ses lectures et convictions marxistes forgées dans la lutte espagnole et 
l'antifascisme européen, autant sans doute que ses origines 
sino-hispano-africaines, concentrent son attention sur les rapports de classe et 
de domination, plus que sur les pensées raciales et la « Négritude ». 
S'inscrivant non sans frictions dans divers espaces nationaux, sociaux et 
culturels, il tiendra toujours une posture de distance, sans être jamais dupe 
des rôles et des projections identitaires que lui imposent amis et admirateurs 
au demeurant bien intentionnés. Ainsi de la fameuse boutade de Picasso 
s'exclamant, en examinant les tableaux que Lam lui présente dès son arrivée à 
Paris – « Il a le droit, il est nègre, lui ! » –, qui inscrivait d’emblée son 
travail dans une équation primitivisme/authenticité et un supposé héritage « 
africain » hâtivement associé à la couleur de sa peau. 
Tout comme l’amitié 
et le soutien de Picasso, dont il n’a jamais été l'« élève », l'amitié d'André 
Breton et l’aventure surréaliste ont été l'objet d'interprétations réductrices 
de l'oeuvre de Lam. Lorsqu'il rencontre André Breton et Benjamin Péret, fin 
1939, la grande époque – héroïque et théorique – du surréalisme est passée, le 
mouvement fatigué par les polémiques et les scissions, et à la recherche d'un 
second souffle qu’il trouvera aux Amériques (Mexique, Antilles, New York) et 
dans les arts d’Océanie. C'est l'entrée des troupes allemandes à Paris et 
l’exode du groupe à Marseille qui favorise le resserrement des liens amicaux et 
la reprise des activités collectives (cadavres exquis, réalisation des cartes du 
Jeu de Marseille). Lam participe à ces séances et réalise de nombreux dessins à 
l’encre de Chine sur des cahiers démembrés ultérieurement. Ces dessins au trait 
empruntent aux mondes humain, animal et végétal des éléments divers recomposés 
en figures hybrides qui annoncent les oeuvres du retour à Cuba. 
Dans ce 
moment d’incertitude et d'inquiétude qui met brutalement fin au « nouveau départ 
» parisien, dans l'attente d'un visa et d’un bateau vers l’exil, les pratiques 
automatiques libèrent aussi les énergies psychiques et formelles. Après vingt 
années passées en Europe et deux exodes, Wifredo Lam vit son retour forcé au « 
pays natal » comme un exil et une douloureuse frustration. Il redécouvre un pays 
qu'il avait quitté très jeune et où la corruption, le racisme et la misère 
règnent sous la terreur policière organisée par le régime de Gerardo Machado. 
C'est le Cuba d'Hemingway, le paradis du jeu, de la prostitution et du cigare. 
L'île est indépendante depuis 1902 mais des siècles d'exploitation coloniale ont 
« saccagé » une culture qui tente de résister sous le folklore de pacotille 
encouragé par un pouvoir cynique. 
L'année 1942 est une année de travail 
intense et La Jungle, achevée en janvier 1943, est exposée en juin 1944 dans la 
seconde exposition consacrée à Lam par la Pierre Matisse Gallery à New York, 
puis achetée par James Johnson Sweeney pour le Museum of Modern Art (MoMA). 
L'accrochage du tableau dans le couloir qui mène au vestiaire du musée pendant 
de longues années avant qu'il ne rejoigne les Demoiselles d’Avignon dans les 
salles, témoigne des résistances du canon moderne énoncé par et dans les grandes 
institutions occidentales. En effet, même si La Jungle a été immédiatement 
reconnue comme une oeuvre majeure, elle ne pouvait trouver sa place dans le 
discours linéaire d'un « art moderne » restreint aux productions des métropoles 
euro-américaines. En revanche, la réception cubaine de l'oeuvre est immédiate et 
exceptionnelle, dans un moment politiquement tendu mais d'effervescence 
intellectuelle et culturelle. De retour dans l’île, Lam vit dans un relatif « 
insilio » (« exil intérieur ») dans la maison-atelier de Marianao où le 
retrouvent ses amis Pierre Loeb et Pierre Mabille, mais aussi Alejo Carpentier, 
Lydia Cabrera, Fernando Ortiz, Virgilio Piñera et José Lezama Lima. Le long 
séjour européen l'a tenu éloigné des groupes et des enjeux des avant-gardes 
insulaires des années 1920-1930, mais l'enseignement amical de Lydia Cabrera, 
qui poursuit sa collecte des traditions et rituels de santeria qu'elle publiera 
dans El Monte en 1954, et la lecture de Fernando Ortiz qui vient de publier 
Contrepoint cubain du tabac et du sucre (1940) en inventant, bien avant les « 
tout monde » et autres approximations multiculturelles, le concept essentiel de 
« transculturation », l'accompagnent dans sa (re)découverte de la culture 
afro-cubaine et de l'extraordinaire flore tropicale. Ces recherches s'inscrivent 
dans un contexte plus large de résistance culturelle aux stratégies de 
domination interne (la dictature) et externe (l'américanisation) et la quête 
d'une « cubanité », essentielle mais dénuée d'essentialisme car sans « origine » 
(après la destruction des populations aborigènes lors de la conquête) est alors 
une question sociologique, historique et politique autant qu’esthétique. 
Fernando Ortiz propose, dans la première monographie consacrée à 
l'artiste, une lecture iconographique de La Jungle et des oeuvres des années 
1940 explicitant les références formelles et symboliques aux croyances 
afro-cubaines et à la végétation réfétropicale exubérante mais aussi les 
symboles empruntés à la tradition occultiste dont il partageait l'intérêt avec 
sa femme Helena Holzer et Pierre Mabille. Il pointe aussi une « manière 
hermétique » et un certain commerce avec l’invisible et ce qui se tient en 
veille sous les apparences. Dans un texte écrit à Rome en 1954, María Zambrano 
évoque le « secret » et le silence inquiet qui émanent des luminosités presque 
cinétiques et si particulières des oeuvres des années 1940 : « Car dans la 
nature tropicale tout se meut sous une quiétude apparente et, seule, la nuit 
révèle la fête occulte, la danse qui semble être la vie intime de toutes les 
créatures. Le monde du tropique n’est pas plastique, il est musical, orphique. 
La peinture de Lam a révélé ce secret ; ses tableaux ont une distribution 
musicale, rythmique ; l’espace est le vide que les corps subtils déplacent dans 
leur tournoiement. » 
Wifredo Lam savait qu'il n'y a pas de jungle à Cuba, 
mais la manigua (maquis dense et épineux). Et les figures qui veillent à l'orée 
de ce bois obscur appartiennent au monte, l'espace symbolique et sacré qui 
condense la mémoire historique des « Cimarrones » (Nègres Marrons) échappés des 
plantations à l'époque de l'esclavage et dont il était le refuge, le séjour 
éternel des esprits autant que l’avenir de la révolte. Par expérience politique 
autant que par intuition poétique, il savait qu'il « faudrait du temps » pour 
que son oeuvre circule et atteigne (dans tous les sens du terme) tous ceux 
auxquels il la destinait. 
- Catherine David 
Image: Wifredo Lam, 
Figure, 1939 (Collection Jacques et Thessa Herold - Photo : Courtesy Valérie 
Thessa Herold © Adagp, Paris 2015)