venerdì 21 giugno 2013

SIMON HANTAÏ - CENTRE POMPIDOU, PARIS


SIMON HANTAÏ
commissaires : Mnam/Cci, Dominique Fourcade, Isabelle Monod-Fontaine, Alfred Pacquement
Centre Pompidou - Paris
22 Mai - 2 Septembre 2013

Le Centre Pompidou rassemble pour la première fois l’œuvre de l’un des plus grands peintres de la seconde moitié du 20e siècle, figure magistrale de l’abstraction : Simon Hantaï. Cinq ans après la disparition de l’artiste, le Centre Pompidou consacre à l’œuvre de Hantaï une exposition inédite – la première depuis plus de trente-cinq ans. À travers plus de 130 peintures créées à partir de 1949 jusqu’aux années 1990, cette exposition, sans précédent par son ampleur et son caractère rétrospectif, témoigne de l’importance et de la richesse foisonnante d’une œuvre aujourd’hui internationalement reconnue.
La dernière rétrospective consacrée à l’œuvre de Hantaï avait eu lieu en 1976 au Musée national d’art moderne. Depuis, les occasions de voir l’œuvre d’Hantaï sont devenues extrêmement rares. Hantaï s’est alors volontairement retiré du monde de l’art, se refusant à exposer sauf en d’exceptionnelles occasions, jusqu’à son décès en 2008.
Surtout connu pour ce que l’artiste nomme « le pliage comme méthode », initié en 1960, l’œuvre de Hantaï se déroule en moments successifs d’une étonnante diversité.
L’exposition s’ouvre sur les premières années de création qui suivent son arrivée en France et offre une lecture chronologique de son parcours artistique dès les années 1950. Des toiles surréalistes, à celles constituées de petites touches, cette époque s’achève avec les peintures d’écriture. Largement méconnue, elle culmine avec deux chefs-d’œuvre de 1958-59 réunis par le Centre Pompidou pour la première fois : Écriture rose et À Galla Placidia.

À partir de 1960, avec la suite des Mariales, Hantaï peint « en aveugle » une surface préalablement pliée en la recouvrant de couleurs : « Cette fois la couleur est le mode principal […]. La lumière a l’air de venir dans la couleur de par derrière, sur le mode d’un vitrail. En vérité, la couleur est la lumière » (Dominique Fourcade). Dès lors chaque série de peintures va faire appel à cette méthode selon des modes très différenciés, qui permettront à Hantaï d’élaborer et de renouveler des compositions formelles et inédites, souvent de grand format. C’est ainsi que le peintre s’affirme comme l’un des plus grands coloristes de son temps. Son œuvre est alors très présente sur la scène française et influencera toute une nouvelle génération de peintres plus jeunes. Suivra une longue absence, ponctuée de rares événements comme une nouvelle suite d’œuvres, les Laissées, qui verra le jour dans les années 1990. On y voit Hantaï découper de grandes Tabulas des années 1980 et en extraire des fragments qui deviennent à leur tour des œuvres à part entière. S’achevant sur cette série, l’exposition permet l’extraordinaire redécouverte d’un peintre éblouissant qui compte parmi les figures les plus importantes de la seconde moitié du 20e siècle.


Entretien avec Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne et commissaire de l’exposition :

Simon Hantaï s’était mis en retrait de la scène artistique bien avant son décès. Peut-on parler d’une rétrospective tout particulièrement inédite au Centre Pompidou ?
Alfred Pacquement : Il y a en effet eu peu d’occasions de voir l’œuvre de Hantaï au cours des dernières décennies même si le visiteur du Centre Pompidou a pu de manière quasi permanente voir certaines de ses peintures présentées dans les salles du Musée. À partir de 1982, et après des expositions importantes au Capc de Bordeaux ou dans le pavillon français de la Biennale de Venise, Hantaï a volontairement choisi de se retirer de la scène de l’art.
Il n’expose plus et réduit considérablement sa production picturale pour finalement l’interrompre ou presque. Pourquoi ce retrait ? Parce qu’il ne voulait plus participer à ce qu’il ressentait comme une évolution négative d’un système où dominaient spéculation financière et détournement par rapport à la fonction essentielle de l’œuvre d’art. Sa manière à lui fut de garder le silence, de ne plus apparaître sauf en de très rares occasions. Il rejeta ainsi plusieurs offres d’expositions muséales et notre exposition est donc la première rétrospective complète de son œuvre.

Daniel Buren déclare dans le catalogue de l’exposition que « Simon Hantaï est très loin d’être à la place que son œuvre mérite dans l’histoire de l’art du 20e siècle ». Quelle est cette place et quel a été son apport ?
AP : Simon Hantaï occupe une place majeure dans l’art de l’après-guerre. Il repense l’espace de la peinture, à la suite de Jackson Pollock, qu’il est sans doute le peintre en France à avoir le mieux assimilé. Il a beaucoup compté pour une génération de peintres apparus dans les années 1960-1970 qui cherchent à redéfinir les modalités constitutives de l’objet-peinture.
Lorsqu’on en prend toute la mesure, son œuvre offre un remarquable parcours où, à chaque étape, Hantaï apparaît comme un peintre majeur, souvent unique. Les œuvres surréalistes où l’imaginaire ne cède rien aux qualités picturales ; la gestualité contrôlée des peintures de la seconde moitié des années 1950 qui proposent une version très originale de l’espace « all over » ; les tableaux d’écriture atteignant un sommet avec l’Écriture rose, œuvre unique dans l’histoire de l’art du 20e siècle. Enfin, cette réexploration de l’espace de l’abstraction dans les années 1960-1970, deux décennies extraordinairement prolifiques où les séries se succèdent avec une grande diversité, réunies par la méthode du pliage qui préside à toutes les créations.

Au-delà de l’abstraction, peut-on dire de Hantaï qu’il est un peintre de la couleur, un peintre du geste, un peintre de la lumière ? Prenant la suite de Pollock et de Matisse ?
AP : Hantaï a souvent dit qu’il avait cherché à associer le ciseau de Matisse et le bâton de Pollock. C’est-à-dire, d’une part, la découpe directe dans la couleur des gouaches découpées de Matisse dont on trouve un prolongement dans la coupe que suppose le pliage de la toile, et de l’autre cet espace inédit, sans composition ni centre, qu’invente Pollock et que poursuit Hantaï. On peut ajouter une troisième référence, celle de Cézanne qui intègre le blanc, le non peint, dans l’espace de la peinture.
Après une période que l’on peut qualifier de gestuelle, Hantaï, par le pliage, retient le geste et peint en aveugle une surface qui ne se révèle qu’une fois dépliée et tendue sur son châssis. Il cherche d’ailleurs toujours à effacer les plis pour ne pas laisser visible la méthode qui n’est qu’un passage obligé. Hantaï est aussi, et peut-être surtout, un remarquable peintre de la couleur, ce que l’exposition montre pleinement.

Quel éclairage avez-vous souhaité donner à son œuvre dans cette rétrospective ?
AP : S’agissant paradoxalement, pour un peintre de cette importance, d’une première rétrospective, nous l’avons voulue aussi complète que possible, inscrite dans un parcours chronologique et insistant sur certains moments essentiels de l’œuvre. Elle se divise clairement en deux grandes phases à la césure desquelles intervient le pliage comme processus exclusif de travail à partir de 1960. Pour autant, il ne fallait surtout pas négliger les peintures antérieures aux pliages, qu’il s’agisse de la période surréaliste ou des remarquables peintures à petites touches réveil (du nom de l’outil qu’utilise alors Hantaï, le cercle de métal détaché d’un réveil matin). L’aboutissement de cette première phase est contenu dans deux immenses peintures réunies pour la première fois dans cette exposition : Écriture rose et À Galla Placidia. À partir des Mariales, première suite de peintures obtenues par le pliage de la toile qui révèle une fois dépliée les parties non peintes, l’espace de la peinture est transformé, réinventé, et le protocole du pliage permet des variantes remarquables, les Meuns et les Tabulas par exemple.


Sacs , noeuds et couleur 

Les Meuns 1967-1968 
(Par Isabelle Monod-Fontaine) 

« Aux quatre coins, des grands noeuds, et au milieu du grossier sac une ficelle qui l’étrangle. » Ainsi Hantaï décrivait-il en peu de mots, en 1998, cette façon de plier qui donne naissance à la série des Meuns. Elle est travaillée pendant deux ans, en 1967 et 1968 – après l’installation à Meun précisément, le village où il a trouvé une maison-atelier en 1966.
Deux nouveautés par rapport aux pliages élaborés par Simon Hantaï dans ses oeuvres précédentes : le nouage des coins de la toile rectangulaire produit ces formes arrondies si caractéristiques et l’étranglement du centre produit du vide, une zone de non peint ouverte au beau milieu, un vide que le dépliement révèle comme ittéralement crucial…
Il y aura de fait dans la série plus d’espace entre les formes colorées, le vide (le blanc de la toile laissé en réserve, protégé par les noeuds et les plis qu’ils déterminent) s’insinuant à partir du centre entre les formes peintes et jusque sur les bords. Des vides inédits dans une peinture où le all over, un all over de plus plus pollockien, a régné jusqu’au milieu des années 1960. Dans les CCtamurons et surtout dans les Panses, le tissu des gestes et des couleurs avait commencé à se desserrer, mais c’est dans les Meuns, pour la première fois, que le vide – le blanc – est rendu actif : comme dans ces gouaches découpées de Matisse, vues par Hantaï dès 1949, regardées encore en 1960 et méditées depuis lors, qui infusent en quelque sorte les toiles de 1967-1968.
Ce vide ainsi exhibé, Hantaï ne le laisse pas tout de suite, ou pas toujours, jouer dans sa plénitude. Il ne se prive pas de revenir sur la monochromie initiale de ces « grandes fleurs bleues, vertes, mauves… » (André Fermigier, 1968) et, en cours de dépliement ou après, insinue parfois au creux des plis des couleurs différentes, plus diluées, qui serpentent et peuvent aller jusqu’à chevaucher les grandes masses de couleur.
C’est un processus complexe, et la grande leçon matissienne n’est donc pas l’unique source à interroger. Au-delà de cette monochromie magnifique à laquelle la critique admirative les a trop souvent réduits, les Meuns (peints à l’huile) révèlent une couleur spécifique, renouvelée, toujours en mouvement, une substance vivante découpée en profondeur par les plis.


Deux chefs-d’oeuvre en présence 
À Galla Placidia et Écriture rose 
(Par Dominique Fourcade)

Quand, il y a plus de deux ans, nous réfléchissions à quelle configuration donner à la rétrospective consacrée par le Centre Pompidou à Simon Hantaï, nous nous trouvions devant beaucoup d’inconnues. Mais nous étions dès le départ pénétrés d’une certitude : Écriture rose et À Galla Placidia constituaient à eux deux le premier grand accomplissement de l’œuvre de Simon Hantaï, et nous étions convaincus que leur réunion, jamais réalisée auparavant, serait un point culminant de l’exposition.
Écriture rose et À Galla Placidia ont été peints en 1959, un an durant, l’un le matin et l’autre l’après-midi. Pour produire ces deux immenses toiles, Hantaï a inventé et développé deux techniques, une double façon de procéder, celle de l’écriture et celle des petites touches, qu’il a expérimentées soit ensemble soit séparément, dans un groupe de peintures que l’on dira préparatoires ou satellites, et dont les plus belles figurent également dans l’exposition. Dans un espace à deux volets puissamment original, Écriture rose et À Galla Placidia mettent en œuvre ambitieusement – et résument en beauté sa carrière à ce stade – tout ce que Simon Hantaï sait de la peinture occidentale (en y incluant le travail de Jackson Pollock), tout ce qu’il sait de lui-même, et tout ce qu’il peut savoir de la condition humaine.